Telle une archéologue de ma propre vie, j'ai redécouvert dans une boite, chez ma grand mère, mon journal d'adolescente que j'ai tenu de 13 à 18 ans. Un plongeon à la saveur aigre-douce vers ce passé pas si lointain. Et ces détails oubliés et diffus qui étreignent mon coeur soudain. Des larmes acides en sillon sur mes joues. Fantôme pâle et fragile, elle revient à la vie et se lève sous mes yeux. Détachée. Figée. Décharnée. Elle me regarde de ses lobes vides. Elle a disparu mais elle fait partie de moi à jamais. Cette petite fille de 14 ans qui écrivait. Tourmentée, je replonge dans des heures au parfum étrange et envoutant de mon existence.
Devant moi, cette pile de cahiers d'écolier. Il y en a une dizaine sans doute. Je les regarde. J'ai peine à croire que c'est ma main qui les a parcouru il y a une dizaine d'années. C'est surréaliste. Je passe mes paumes sur les couvertures et une onde électrique parcourt mon ventre. Je revois soudain à travers ses yeux à elle. Elle qui n'est plus moi mais qui est en moi. Je l'exhume. Les sensations se bousculent, les souvenirs aussi.
Je parcours les pages. L'émotion est de plus en plus forte. Ligne après ligne, de cette écriture ronde et cunéiforme, de cette encre bleue de stylo-plume, sa vie (ma vie) s'étale.
Je prends certaines phrases comme un électrochoc. Je me sens mal à l'aise. Je me retiens pour ne pas refermer brutalement chaque cahier. Pour oublier. Les douleurs montent vers moi en incantation. Elle parle (je parle) de lui. Encore. Mon père. Et je me rends compte à quel point déjà à l'époque je souffrais de son mépris. Et je lis. J'avais effacé de ma mémoire certaines choses, certains détails, certaines scènes dures. Je peux presque palper le malaise qui s'insinue de nouveau en moi. Il m'habite comme à l'époque et empoisonne mon sang. Je saute des pages. Certaines phrases me sont insupportables et je décide ne pas les relire.
Il y a d'autres phrases qui me font sourire. Malgré tout, cette petite adolescente s'accrochait à sa vie. Je relis, presque avec attendrissement, les réflexions de cette petite fille, ses rêves, ses espoirs, son envie de grandir, ses premiers émois à 13 ans, ces je l'aime à une page et ses je ne l'aime plus deux pages plus loin :-) Est ce moi ? Je ne parviens pas y croire.
J'ai envie de serrer cette petite fille dans mes bras et de la rassurer. Lui dire que tout ne sera pas rose mais que tout ira bien quand même. Lui souffler quelques conseils pour qu'elle ne fasse pas des erreurs que j'ai faites et les efface ainsi de ma vie. J'ai envie de la berçer et de la guider.
C'est fou comme le temps a quelquechose de surnaturel parfois. J'ai ce souvenir précis de moi à 14 ans parlant mentalement à la femme que je serai plus tard, à 24 ans par exemple. Je lui promettais d'être forte, de réussir ma vie, de tout faire pour devenir quelqu'un de bien. Et aujourd'hui, mentalement, je lui parle à elle. Je voudrais lui tendre la main et effacer ses doutes. Peut être qu'au fond de mon être, ces deux personnes qui n'en sont qu'une communiquent enfin et que la boucle est bouclée désormais.
Quelquechose a éveillé une vive émotion en moi au cours de ma lecture. Quelquechose qui a fait battre mon coeur à tout rompre comme à l'époque. Le récit de mon premier amour à 14 ans. Je ne suis pas sûre de revivre quelquechose de semblable un jour tant cela avait été fort et éphémère. Les mots, juste ses mots ont fait naître en moi toutes les sensations envoûtantes.
J'avais 14 ans et il en avait 16. Nous étions dans la même classe de troisième. Il était grand, châtain et on ne peut pas dire, avec objectivité, qu'il était vraiment beau. Mais je lui trouvais un charme fou dans chacun de ses gestes maladroits, dans chacun de ses sourires, dans chacune de ses paroles, dans chacune de ses attentions pour moi. Il avait une voix très douce. Il n'était pas comme les autres garçons. Il avait cette douceur et cette fragilité des êtres écorchés par la vie. Je savais qu'il avait perdu son père. Je l'aimais mais il ne le savait pas. Bien sûr.
L'amour était né doucement en moi. Par petite touche. Tout en douceur pendant de longs mois dans une classe. Je me suis laissée séduire par toute la sensibilité qu'il dégageait. Et le paroxysme de ce sentiment un peu fou a été une tempête dans mon coeur. Je pensais à lui à chaque seconde, je dépérissais quand les vacances m'éloignaient de lui pour deux semaines, j'étais jalouse de chaque fille qui croisait son regard. En cours, j'étais derrière lui et je le dévorais du regard. J'ai quelques souvenirs très marquants. Une fois, pendant un cours de danse, je le regardais et j'ai été submergée par une force irrésistible qui a envahit mon coeur. Je me souviens avoir dû me retenir à tout ce que je pouvais pour ne pas courir vers lui et l'embrasser. C'était beau et violent à la fois. La découverte de ce que l'amour peut provoquer parfois.
Une autre fois, pendant un cours de français, j'étais installée derrière lui. La voix du professeur envahissait le volume de la salle mais je ne le quittais pas des yeux. Soudain, son regard s'est porté sur le jardin. J'ai fait de même. et je sais que cette petite cour remplie de fleurs avaient été le lieu de rendez vous secret de nos regards.
Je l'ai aimé d'un premier amour, je ne pense pas qu'il puisse en exister de plus pur et de plus beau. Je l'ai aimé d'un amour passionné dans tout ce que ça a de beau et de violent. Par ses attentions et ses mots, je savais qu'il tenait à moi mais j'avais trop peu confiance en moi pour m'en convaincre. Il y a eu plusieurs beaux rendez vous avec lui que je garde pour moi, onze roses rouges offertes dans un soleil couchant éclatant et puis ce moment où nous nous sommes avoués nos sentiments...
Fin de l'histoire.
La vie nous a séparé très vite ensuite. Quand la réalité rejoint le rêve, ce dernier meurt... C'était inévitable.
Relire tout cela m'a rendu nostalgique bien sûr. Je sais que celui que j'ai aimé a disparu tout comme cette petite fille de 14 ans a disparu aussi. Mais ces cahiers m'ont redonné de la force. La force d'affronter 2006 avec de l'espoir. Non je ne revivrai jamais une chose pareille, c'est certain, mais je vais m'accrocher pour remettre un peu de magie dans ma vie. Comme j'ai pu en avoir malgré des circonstances familiales difficiles...
Comme en attestent ces quelques cahiers.
Je les referme et les range dans la boite. Dans dix ans peut-être, j'aurai de nouvelles choses à dire à la petite fille qui les a rédigé...
Commentaires :
Re: Re:
Le manque du corps d'une femme, le manque de bisoux, de calins, de tendresse, de silences, de regards....d'amour féminin quoi....et le manque de donner aussi...
bises
ca passera c'est juste une mauvaise crise...
artur
Re: Re: Re:
Je suis très touchée par ton commentaire, petit lionceau, car je me reconnais dans ces symptômes que tu décris si bien. Tout comme toi, je les ressens. Relire ces lignes de mon passé a ravivé ce manque latent qui me brûle le ventre. J'ai besoin de passion, de complicité, de douceur, de toucher, de câlins... Je regardais la neige briller au soleil ce matin et j'ai regretté de n'avoir personne avec qui partager ce moment... Ca m'a rendu un peu triste, c'est vrai.
Donner, recevoir, partager... J'attends tout cela aussi... Je te fais des gros gros bisous :-* Je sais que le temps joue pour nous et que notre heure viendra.
Amethyst
moi j'ai lu et je vois bien de quoi tu parles...
Comme l'écriture arrive à conserver les émotions presque intactes, comme si le temps n'avait pas cours.
BISES
Re:
Ca me rappelle la madeleine de Proust lol :p
Re: Re:
Salut Malicia,
Je n'ai eu l'occasion de me lancer dans l'aventure du blog que très récemment pour des raisons techniques (je n'avais pas internet chez moi avant) mais ça a été une sorte de renaissance Ecrire mon journal sur papier pendant des années a été une manière de figer certaines douleurs et de me projeter aussi : une sorte de thérapie. Ouvrir mon blog a été une vraie délivrance, une nouvelle aventure car maintenant je peux partager ce que je vis et faire de belles rencontres aussi ici. Une dimension inédite dont je ne peux plus me passer.
Je crois que sans l'écriture, je ne serais rien. C'est vraiment toute ma vie. Avant et maintenant. C'est ce qui structure mon existence et j'en ai besoin. C'est ce qui me libère aussi.
Quand on voit come on peut être touché par des émotions passées juste par le fait de les lire, l'écriture est magique, je suis 100 % d'accord avec toi ;-) Je te fais des gros gros bisous !!!
Re:
Salut ptite soeur !
Tu as tout à fait raison : c'est fou comme l'écriture peut figer les sensations d'un moment donné et les faire revivre des années plus tard... Dans le bon comme dans le mauvais. J'ai beaucoup de mal à pardonner à mon père. Je me rend compte qu'il a tiré un plaisir malsain à me faire du mal... C'est flagrant au récit de certaines scènes. J'ai voulu faire disparaitre tout ça de ma mémoire mais ça fait partie de moi. Il faut que je l'acceptes pour aller de l'avant... Et puis heureusement, j'ai aussi pu garder des souvenirs heureux auprès de mes grands parents et de ce premier amour aussi.
Gros bisous à toi :-*
Tu m'énervveeeuuuhhhhhh
Grandes stars, riches, pauvres, célèbres, inconnus, les gens qui m'épatent je ne les oublie pas. Je ne t'oublierai donc jamais. Pour avoir écrit ce que mon coeur pense, pour avoir ressenti ce que mes mains ont un jour ressenti et trouvé les mots pour illustré cet envoutement... Je t'admire. Je tire mon chapeau. J'applaudis. Bravo.
xoxo
Re: Tu m'énervveeeuuuhhhhhh
Bonsoir Princess,
Là je dois dire que c'est bien dommage qu'il n'existe pas de smileys qui rougit sur Joueb parce que c'est vraiment mon état à cet instant :-) Je suis vraiment touchée par ton commentaire, ça me fait tout bizarre et je suis aussi toute bête parce que je ne sais pas décrire tout ce que je voudrais t'écrire. Alors, je vais te dire merci, merci beaucoup et te dire aussi que j'aime venir chez toi, que je ne poste pas toujours mais que je ne manque aucun de tes articles...
A très bientôt Princess ! Gros bisous :-*
Il n'y a qu'un premier amour et c'est le plus beau de tous.
Tu le décris bien... C'est le tien, mais cela pourrait être le mien.... Seul le lieu et la date changeraient....
Cet article m'a aussi rendu triste, amére: Je n'aurais jamais dû jeter mon journal.
Je l'aurais ré-ouvert comme tu l'as fait, j'aurais frémis à mes propres mots et non aux tiens...
Merci de nous avoir fait partager tes premiers émois ;-) Un pur bonheur!
Et je sais qu'il y en aura d'autres (des émois et des bonheurs ;-) ).....
Trés gros bisous à toi :-*************
Re:
Un jour, il y a de cela quelques années, j'ai eu aussi cette pulsion de destruction. J'avais envie d'une page blanche et vierge, et d'oubli, et d'abandon. J'avais cette rage d'aller de l'avant, ce besoin de mettre le passé derrière. Et dans mes prunelles, des flammes. Je voulais détruire ce journal par le feu. Tirer un trait définitif.
Finalement, j'ai préféré l'enterrer. Par dépit. Loin de moi. Dans ce lieu si cher à mon coeur. Et je l'ai oublié.
Pas tout à fait, en fait. Il restait dans un petit coin de mon esprit. Mais je ne sais pas, je n'avais pas le courage de l'ouvrir à nouveau, pas le cran de laisser une chance au passé de revenir même l'espace de quelques instants.
Et ce jour où il s'est ouvert. Les mots sont les plus puissants veteurs du souvenir. En moi se sont entrechoquées ces deux images de moi, elle, celle de l'avant et moi, celle de maintenant. Et j'ai dû l'admettre. Cettte écriture était la mienne et ses sentiments aussi. Ca a été un moment très troublant, très touchant. Le moment fragile et éphémère où les différentes faces coïncident.
Tout cela m'a donné envie d'écrire une suite. Ma suite. La boucle est bouclée. Je me sens mieux. Ne sois pas triste, l'important c'est que tu gardes au fond de toi le souvenir de cet amour. Les mots ne font que porter le message dans son poids ou sa douceur.
Merci d'être passé ! Gros bisous à toi :-***
LENARRATEUR