Je ne prends plus le temps de rien, c'est affolant. Serait-ce donc vrai qu'on n'écrit que quand ça ne va pas ? Je n'écris plus et pourtant je voudrais faire mentir cette affirmation et décrire à quel point c'est beau de piétiner ses démons et de les laisser de plus en plus à terre derrière soi. Oui écrire aussi quand ça va décidemment drolement bien. Ecrire pour dire mon bonheur. Il y a une franche déchirure dans le tissu de ma vie. Il y a celle d'avant, celle des nausées sans fin, celle des larmes froides, celle des images de sang, des pulsions, des envies de néant au coeur de la nuit, les heures passées la tête en arrière à essayer d'oublier la douleur, juste là dans le ventre, et la haine de soi. J'ai vomi l'avant qui me torturait, la rupture jamais consommée, le vide, l'absence, l'amour sans but et le non-sens. Et il y a la vie de maintenant, la petite flamme qui s'est rallumée et que je veux préserver. La sensation neuve de me sentir vivante.

L'avant. Il fallait en passer par là. Il y a eu tant d'années au cours desquelles je me suis mentie à moi-même, ou j'ai intériorisé la douleur de me sentir détruire par lui, mon père, pour ne pas en mourir. Mais il y a quelques années, tout est sorti dans une grande violence. J'ai réalisé que je ne pouvais pas vivre avec ce poids, j'ai accepté mon mal de vivre enfin. Mais j'ai retourné ma haine contre moi-même avant de la canaliser et de la comprendre.

J'ai parlé avec ma mère il y a quelques semaines. Elle m'a dit s'être complu dans cette vie sans vraiment voir le mal que cela me faisait. Elle m'a dit regretter certains instants où elle était encore sous son influence. Elle me dit que maintenant elle n'hésiterait pas une seconde à venir m'aider. J'ai toujours le goût amer dans la bouche de cette soirée ou personne n'a bougé. Ce sentiment d'abandon terrible. Je ne sais pas si ses paroles sont sincères mais je n'ai pas le choix, je refuse de vivre dans la rancoeur. Je décide de la croire parce que je l'aime. Pour lui, c'est trop tard. Je ne peux pas lui pardonner.

Maintenant je vais mieux. C'est tout ce qui importe. Je regarde vers l'avant.